Parler de Brice Dellsperger, c’est parler d’abord d’un amour du cinéma, que l’artiste applique très tôt au champ des arts visuels. C’est parler de protocoles, auxquels l’artiste se tient depuis 30 ans, et du défi de réinventer les formes et les références, qu’il relève aisément. C’est aussi bien sur l’esthétique camp, le collage, la représentation.
Parler des Body Double, c’est évoquer le plaisir des reconnaissances, l’humour issu du décalage des scènes rejouées, et des processus de réalisation toujours proche de la vie, hors champ.
Dans Quitte ou Double les vidéos tournent en boucle, leur durée n’est pas excessive (6-7 min. tout au plus). À ce propos, l’artiste déclare qu’il se sent connecté à l’« esthétique du clip musical ». Entrons dans la danse.
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Body Double 31 est présent deux fois dans l’exposition. La scène de l’interrogatoire de Basic Instinct, du réalisateur Paul Verhoeven est ici reproduite par Brice Dellsperger qui fait figurer son amie Eva Svennung, fardée d’un maquillage appuyé, franc. L’illusion de l’accès direct au screen test («bout d’essai» dont l’original est disponible sur Internet), mis en scène dans l’entrée sur un écran cathodique, renvoie à la complexité du travail de l’artiste qui tisse des scénarii de l’art contemporain en imaginant le décor de l’exposition comme on entrerait sur un set de cinéma.
Le moment choisi encadre la tension qui monte avant que Sharon Stone, dans la scène originale, ne conclue par son iconique croisement de jambes. Elle ne fait que souligner comment cinq policiers et enquêteurs, figures masculines d’autorité, tentent de lui faire avouer un crime et se retrouvent désarçonnés autant par son aplomb que par ce simple geste. L’inversion du pouvoir est ici palpable, et Brice Dellsperger relève aussi par cette scène l’intelligence du dialogue et le rapport renversant des mots.
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L’artiste nous livre ici une oeuvre réalisée avec les étudiant.e.s de l’école des Beaux-arts de Lyon en 2015. Une dizaine d’entre elleux refont les dialogues d’une scène du film My Own Private Idaho, de Gus Van Sant, dans laquelle des couvertures de magazines gays s’animent subitement. Les modèles démarrent une conversation autour de la célébrité et de l’argent, dans un contexte qui interroge la question de la marge sociale, sexuelle, et financière. Le film original, avant-garde et devenu culte dans le milieu queer, fait également écho aux pièces de Shakespeare Henri IV et Henri V et mêle fiction et science fiction ; ces couvertures qui parlent évoquant aussi la notion de folie et d’hallucinations, les acteur.ice.s rejouent ce dialogue en boucle, chaque personnage étant maquillé et habillé pour mettre en lumière encore davantage le trouble dans les rapports de genre et d’appropriation.
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Dans cette forêt de figures psychédéliques, un seul acteur, Jean Biche, incarne une salle entière de fitness, sur un morceau retravaillé de Whitney Houston et Jermaine Jackson, Shock me (1985). Jean Biche est Jamie Lee Curtis, John Travolta, et la myriade de figurant.e.s déchaîné.e.s. Il mime les attitudes suggestives de drague qui passent par les expressions et les regards des deux personnages principaux.
L’artiste a ici retravaillé la vidéo pour Passages, dédoublant le film pour en faire un papier peint en mouvement géant, un kaléidoscope axé sur des morceaux de corps et de visages. S’adaptant au grand mur du centre d’art, Body Double 36 évoque la joie et la vie des corps qui s’agitent dans une boucle hallucinatoire qui sature les sens.
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Body Double 38 diffère légèrement des protocoles usuels de l’artiste. Deux scènes, issues de deux artistes davantage lié.e.s aux arts visuels qu’au cinéma, sont à l’origine de l’œuvre qui tourne ici en boucle sur un écran vertical au sein du jardin d’hiver.
Eva Svennung joue l’actrice du film expérimental de Kenneth Anger, Puce Moment (1949) qui devient Wonder Woman samplée par Dara Birnbaum dans Technology/Transformation: Wonder Woman (1978-1979).
Brice Dellsperger opère ici un collage de deux films expérimentaux, rapproche les sujets, par analogie visuelle et thématique, pour dénoncer les aspects sexistes stéréotypés incarnés d’une part par le Hollywood des années 20 et d’autre part par le système télévisuel des années 1970.
Depuis plusieurs années, entre deux tournages, Brice Dellsperger couche à la gouache sur papier des références tirées de sa filmographie, qui complètent ici l’exposition ; les stars et leurs animaux, et les reproductions de couvertures de magazines, rappellent l’esthétique du fanzine, espaces imprimés dédiés à une liberté de création sans concession et dans lesquels les personnages s’érigeaient souvent au rang d’icônes. Brice Dellsperger s’approprie ainsi autrement les figures qui l’inspirent et l’entourent, comme une famille qu’il créé pour le public.
Les références sont jetées là, dans un vacarme queer et punk complexe, et proposent un dédale de millefeuilles visuels et de collages sémantiques réjouissants dont on ne ressort probablement pas indemne…
Maëla Bescond
Découvrez plusieurs installations vidéo à Passages pendant l’exposition Quitte ou Double, du 20 septembre au 13 décembre.
Retrouvez l’autre volet du projet, durant de l’exposition Futurs intérieurs, du 5 juillet au 14 décembre 2025, au centre d’art contemporain La Synagogue de Delme. Ce partenariat est rendu possible par le dispositif Mieux Produire Mieux Diffuser du Ministère de la Culture.
Un catalogue de l’artiste verra le jour à la fin de l’année 2025 chez Mousse Publishing, grâce au soutien de Mieux Produire Mieux Diffuser, le MRAC Sérignan, la Fondation d’entreprise Ricard, la Fondation Agnès b., et la galerie Air de Paris.
Brice Dellsperger selon Evan Moffitt – Double Trouble ; Site de la Fondation d’entreprise Pernod Ricard
